Les Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue N° 18

Meurtre au cimetière

Résumé


Une tombe profannée va conduire Jules Monier, notre héros, sur la piste d’un crime.

Chapitre 1


Chapitre 1

La nuit était sombre comme un sépulcre. Par instants, un mince croissant de lune perçait les ténèbres et laissait paraître un rai de lumière blafarde à travers les déchirures mouvantes d’une couverture de nuages épais, lourds, huileux, qui roulaient au-dessus des toits de la ville, se découpant en ombres chinoises. Il ne faisait guère de doute qu’un orage se préparait ; un de ces orages d’été, impétueux et soudains, né de l’étreinte brutale entre la chaleur accablante de la terre et l’humidité descendue des hauteurs.
Au loin, une lueur fulgurante déchira l’horizon : un éclair venait de frapper, certes encore distant, mais annonciateur et plein de menaces. Durant une fugitive seconde, les anges figés qui veillaient sur les tombes du petit cimetière semblèrent s’animer, comme tirés d’un long sommeil de pierre. L’air exhalait une odeur de terre tiède, d’herbe roussie et, déjà, le parfum métallique de la pluie à venir.
Nouvel éclair !
« Un, deux, trois, quatre, cinq, six et… roulement de tambour. L’orage est à environ deux kilomètres, voilà qui me laisse encore un peu de temps », pensa l’homme qui se faufilait dans les fourrés, aussi silencieusement qu’un reptile. C’était un homme mince, ni petit ni grand, dont les cheveux argentés laissaient deviner un âge respectable. Pourtant, ses mouvements étaient souples, rapides, précis.
Il y eut soudain un bruit, à quelques mètres de lui, comme si quelqu’un piétinait l’herbe séchée par le soleil. Un petit couinement, encore un piétinement… L’homme posa un genou au sol et s’immobilisa, tous les sens aux aguets.
Il se redressa un peu et avança, courbé, pour rester caché par les hautes herbes. Il déboucha dans une zone où l’herbe était couchée et c’est là qu’il le vit, pendu au bout d’un fil métallique. C’était un lièvre qui devait faire dans les cinq kilos, une belle prise qu’il allait décrocher lorsqu’un nouveau bruit le figea. Cette fois, cela provenait des allées du cimetière tout proche et il ne s’agissait pas d’un lièvre ou d’un quelconque animal à quatre pattes. On marchait, là, à moins de cinquante pas.
L’homme leva légèrement la tête pour voir qui était cet autre visiteur de la nuit qui n’avait pas eu peur de sortir, malgré la proximité de l’orage.
Un nouvel éclair, dont le fracas arriva plus rapidement que le précédent — preuve que la tempête se rapprochait —, éclaira la scène d’une lueur irréelle et découpa contre les pierres tombales une silhouette intrigante. Était-ce un homme, une femme ? Probablement un homme, à en juger par sa morphologie, mais il eût été bien difficile de l’assurer à cause de la profonde obscurité qui régnait sur le cimetière.
La silhouette s’arrêta soudain devant un grand caveau de pierre blanche. C’était celui de Charles Montaigu, un notable de la ville, décédé quelques jours plus tôt, quand une charrette de foin s’était renversée sur le cours des Platanes, pile devant la caserne des gendarmes, l’écrasant sous son essieu renversé. Mort sur le coup !
« Quelle drôle d’heure pour venir se recueillir », pensa l’observateur caché dans les hautes herbes en voyant la silhouette immobile devant la dernière demeure de Montaigu. Mais subitement, l’inconnu brandit un objet qu’il portait sur l’épaule et le père Borel — car oui, c’était bien lui — reconnut la forme courbée d’une pioche.
L’outil s’abattit tout d’abord sur les pots de fleurs déposés en signe de respect par la famille sur le tablier de pierre, balayant tout ce qui s’y trouvait. Les vases et autres objets cultuels volèrent pour retomber à quelques mètres de là dans un bruit de poteries et de marbre brisé. Puis, l’inconnu s’attaqua avec acharnement à la pierre même du caveau.
Le père Borel, qui ne s’était pas armé pour son expédition nocturne, n’osa pas bouger. De toute manière, qu’aurait-il pu faire ? Intervenir, prévenir la gendarmerie qui se trouvait de toute façon de l’autre côté de la ville ? Et puis, dans ce cas, il aurait dû justifier sa présence près du cimetière, en pleine nuit, ce à quoi il ne tenait pas vraiment.
Le vieux braconnier se contenta donc d’observer, caché par les herbes que le vent de l’orage approchant commençait à agiter mollement. Les premières gouttes de pluie commencèrent à tomber, ce qui eut pour effet d’aviver l’ardeur de la silhouette qui poussait des petits « han » à chaque fois que la pioche s’abattait sur le monument funéraire. Puis, au bout d’un moment qui sembla durer une éternité, l’individu se calma enfin. Il se pencha en avant, comme pour murmurer quelque chose au locataire de la tombe qu’il venait de détruire, puis, reposant l’outil sur son épaule, partit en courant tandis que de grosses gouttes de pluie commençaient à crépiter sur la terre dure des allées du cimetière.
Le père Borel, saisi par cette scène, demeura immobile jusqu’à ce que la silhouette ait disparu au bout de l’allée. Alors seulement, il se releva, décrocha le lièvre qui avait cessé de vivre, l’enfouit vivement dans sa gibecière de cuir et se pressa de quitter ces lieux inquiétants.