Les Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue N° 15

Meurtre à la Carrière

Résumé


Dans ce nouveau numéro des Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue, Jules Monier doit résoudre un étrange meurtre perpétré sur fond de vieille légende juive.

Chapitre 1


Un éclair déchira la nuit, traçant un sillon de feu d’ouest en est, au-dessus des toitures luisantes des maisons de l’ancienne carrière juive, hautes de quatre ou cinq étages, étirant leurs silhouettes massives vers les nuages noirs qui masquaient la lune et les étoiles.
De grosses gouttes de pluie commencèrent à éclater sur le sol avec un bruit mat. L’orage qui arrivait était l’un de ces orages d’été que le ciel décharge sur la terre vers la fin du mois d’août, lorsque les pierres se sont gorgées de la chaleur estivale.
Il y eut un nouvel éclair et, presque aussitôt, une déflagration qui surprit les trois silhouettes enfantines encapuchonnées blotties sous le porche d’un bâtiment à l’abandon sur lequel était inscrit en lettres noires : « Écuries Abraham », un vestige de la présence des juifs quelques décennies plus tôt. Une voix plaintive s’éleva :
— Pourquoi tu nous as fait venir ici avec ce temps, Marius ?
— Écoute, Célestine, si tu as la trouille tu n’avais qu’à rester chez toi !
— Moi la trouille et de quoi ? de tes soi-disant fantômes ?
— Je te dis que je les ai vus, pas plus tard que la nuit dernière. Il y avait des lumières au quatrième étage de cette maison, dans l’impasse, là-bas.
— C’est l’immeuble Beaucaire, précisa le troisième larron de la troupe, Firmin, d’un air peu rassuré. C’est à l’abandon depuis des années et mon père dit que ça risque de s’écrouler un jour ou l’autre. Il ne faut pas y mettre les pieds !
— Moi, le mien m’a promis qu’il me filerait une tannée s’il me voyait traîner par là, renchérit Célestine.
Marius, un petit brun au visage ingrat avec un nez en bec d’aigle s’énerva :
— Bon, vous me gonflez maintenant ! Vous n’êtes que des poules mouillées. Moi j’y vais.
Le gamin s’avança hors de l’abri, mais recula vivement. Une lanterne venait d’apparaître au rez-de-chaussée de la maison qu’ils surveillaient.
— Vous voyez, lança-t-il mi-triomphant mi-terrorisé à ses camarades.
Les enfants se blottirent les uns contre les autres au moment où deux silhouettes sortirent de l’immeuble en ruine.
Marius sentit une main se refermer sur son poignet. C’était Célestine qui cherchait à se rassurer. Ce geste ragaillardit le gamin qui gonfla un peu la poitrine.
— Ils n’ont pas vraiment l’air de fantôme, remarqua Firmin qui, avec ses petites lunettes rondes, ressemblait à un instituteur.
Marius haussa les épaules et lorsque les deux silhouettes eurent disparu dans l’une des deux rues étroites, seul accès à cette place, il fit un signe à ses camarades.
— Allons voir ce qui se trame là-dedans !
— Tu es sûr ? demanda timidement Célestine, toujours accrochée au bras du garçon.
Mais la pluie qui se mit à tomber soudainement ne laissa pas à ce dernier le loisir de répondre. La petite troupe fonça vers la porte laissée grande ouverte de l’immeuble Beaucaire et s’y engouffra. Ils ne remarquèrent pas cet autre personnage qui, caché dans l’obscurité jusque-là, suivit les deux silhouettes encapuchonnées.
Une fois à l’intérieur, les enfants marquèrent un temps d’arrêt dans le hall d’entrée plongé dans le noir.
— Dommage que les autres ne nous aient pas laissé leurs lanternes, ironisa Firmin.
— T’inquiète ! rétorqua Marius en sortant une bougie et une boîte d’allumettes de sa poche.
La mèche de la chandelle s’enflamma avec un petit grésillement répandant une odeur de paraffine. La lueur tremblotante de la flamme éclaira enfin la pièce dont le sol était jonché de gravats et de débris de toute sorte.
Un escalier monumental s’élevait vers les étages :
— Par là ! dit Marius en s’engageant sur les premières marches.
Au fur et à mesure que les enfants grimpaient ces escaliers délabrés, ils sentaient une boule grandir dans leur estomac.
— J’ai peur, rentrons ! gémit Célestine.
Sans tenir compte des angoisses de son amie, Marius poursuivit son ascension. Arrivés au quatrième étage, ils découvrirent un long couloir qui aboutissait à une porte encore en assez bon état. Ils s’avancèrent en silence, retenant leur respiration.
Marius, toujours en tête, poussa le battant qui pivota sur ses gonds en frottant un peu sur le sol. La pièce était vide, à l’exception d’une chaise placée au centre. Le gamin leva sa chandelle pour mieux voir, mais son geste resta figé à mi-course lorsqu’un éclair déchira l’obscurité illuminant la scène d’une clarté aveuglante.
Les trois explorateurs poussèrent un cri et prirent leurs jambes à leur cou. Marius laissa échapper la bougie qui roula sur le sol et s’éteignit dans un petit crachotement et c’est dans le noir le plus total qu’ils dévalèrent les escaliers, comme si leur vie en dépendait.