Résumé :
Dans ce nouvel épisode de vos Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue, le mystère le plus total règne sur le vol de la paye des journaliers de la compagnie Paris-Lyon-Mediterranée. Embarqués à Cavaillon par une un détachement de gendarmerie, le coffre comme le convoyeur ont disparu à l’arrivée en gare de L’Isle-sur-Sorgue. Le fourgon blindé est bien fermé de l’intérieur et n’a pas pu être ouvert. Le mystère s’épaissit encore lorsque l’on retrouve le convoyeur mort sur la voie. Il a été tué deux jours avant que les gendarmes ne le voient monter dans le train. Comment est-ce possible ? Vous le découvrirez en lisant Meurtre Express, dans les Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue N°4
Chapitre 1
Les quatre-vingts tonnes d’acier de la locomotive de la compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, crachant la fumée et le feu, entrèrent en gare de Cavaillon vers neuf heures du matin. Sur la plate-forme de pilotage, le conducteur réduisit la vitesse au maximum.
La grosse locomotive modèle 111, tirant quatre voitures et un fourgon totalement fermé ralentit progressivement et s’arrêta juste devant les repères qui lui étaient alloués.
Le mécanicien relâcha toute la pression restante et, durant plusieurs secondes, on eut l’impression qu’une bête gigantesque expirait sur les rails.
Les portes s’ouvrirent et des hommes en chapeau melon ou canotier ainsi que des femmes avec des ombrelles en dentelles descendirent, tandis qu’un nouveau flot de passagers prenait d’assaut le train pour se rendre à L’Isle-sur-Sorgue.
Sur le quai, quatre gendarmes bien armés montaient la garde devant une caisse cerclée de fer et close par des cadenas en acier trempé. Même si les voyageurs qui allaient et venaient dans la gare ne semblaient pas prêter attention à eux, les militaires paraissaient nerveux. Il faut dire que, dans le coffre qu’ils gardaient, se trouvait la paye des journaliers des chemins de fer, qu’ils devaient charger à bord d’une voiture spécialement aménagée pour cette mission. Un convoyeur de la compagnie PLM devait escorter le magot, sauf que ce dernier avait près d’une demi-heure de retard.
En attendant, le brigadier Munoz, qui commandait ce petit détachement, ordonna à un de ses hommes de monter dans la voiture de queue pour vérifier si tout était en règle. La mission n’était pas très compliquée, car il s’agissait en réalité d’un ancien wagon à bestiaux reconditionné. On avait condamné la porte donnant sur la voie, de sorte qu’il n’y avait plus qu’un seul accès et les cloisons avaient été doublées avec des plaques d’acier. L’intérieur était totalement vide, à l’exception d’une chaise inconfortable pour permettre au convoyeur de voyager assis.
Le gendarme jeta un rapide coup d’œil à l’intérieur et fit signe aux autres que tout était bien en ordre. Pour ouvrir cette voiture, il aurait fallu utiliser une belle quantité d’explosifs ou un canon ce qui, une fois le train en marche et lancé à la vitesse infernale de soixante-dix kilomètres à l’heure, avait bien peu de chance de se produire.
Le brigadier commençait à s’impatienter, lorsque, enfin, le convoyeur arriva : Chapeau melon, costume trois pièces avec une chaîne de montre en or courant sur son gilet et une fine moustache. C’était un type athlétique, plutôt bien de sa personne. Dans sa précipitation, il bouscula un voyageur qui laissa échapper sa valise. L’homme allait protester quand, soudain, son visage s’éclaira :
— Ça alors, si je m’attendais, mais c’est Eugène Boudin. Qu’est-ce que tu fais ici ?
Le convoyeur le dévisagea, étonné, de toute évidence il ne se connaissait pas de cet homme :
— Vous devez vous tromper, monsieur, je ne suis pas ce Boudin dont vous parlez. Excusez-moi, je suis extrêmement pressé, dit-il en se dirigeant vers les gendarmes.
L’autre le regarda s’éloigner, d’un air suspicieux. La ressemblance était pourtant frappante, même s’il n’avait plus revu l’individu depuis quelques années.
— C’est vous, le convoyeur ? Eh bien, ce n’est pas trop tôt ! grogna le brigadier Munoz, un type petit et râblé, portant une grosse moustache qui débordait sur sa lèvre supérieure.
— Désolé, rétorqua l’autre, mon automobile ne voulait pas démarrer.
— Et voilà le problème, avec ces engins modernes. Je vous le dis moi, l’automobile n’est pas prête de remplacer nos bons vieux canassons. Vous pouvez me présenter vos papiers et votre carte professionnelle, s’il vous plaît ?
L’homme s’exécuta avec le sourire. Le brigadier plissa un peu les yeux pour lire les documents. Il examina attentivement la photo sur la carte professionnelle et leva enfin les yeux :
— Jean Panisson, c’est bien vous que j’attendais ! Allez, signez-moi ça, dit le militaire en lui tendant une liasse portant des tampons officiels.
Jean Panisson signa et rendit les papiers au militaire qui fit signe à ses hommes de charger la caisse dans la voiture blindée.
Le convoyeur allait monter à bord, à son tour, lorsque le brigadier l’arrêta :
— Au fait, vous avez ce qu’il faut, en cas de soucis ?
Eugène Frontignan hocha la tête et sourit en découvrant des dents de loup. Il écarta un pan de sa veste et dévoila la crosse d’un revolver de gros calibre.
— Si des malandrins avaient dans l’idée de voler la compagnie, avant l’argent ils auraient du plomb, je peux vous le garantir.
Sur ces paroles, il sauta agilement sur le marchepied et entra dans la voiture. Lorsqu’il eut repoussé le panneau coulissant, le brigadier fit signe à l’un de ses hommes de le verrouiller à l’aide d’un énorme cadenas à serrure de sécurité, dont il n’existait que deux clés : celle qui venait d’être utilisée et l’autre, qui était en possession du commandant Brunet, chef de la brigade de L’Isle-sur-Sorgue.
Le chef de gare donna le signal du départ, les portes se fermèrent et la machine cracha un épais nuage de fumée blanche. Les grandes roues en acier patinèrent un peu sur les rails et le convoi se mit en branle.
Les quatre gendarmes suivirent le train des yeux, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point noir sur l’horizon. Voilà, leur mission se terminait là, l’argent de la compagnie PLM arriverait à bon port. Après, ce n’était plus leur affaire.