Couverture des Chroniques de L'Isle 11

Les Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue N° 11

Meurtre à la chapelle

Résumé


La Mère Supérieure des sœurs de Saint-Joseph est retrouvée poignardée dans sa cellule fermée de l’intérieur.

Une autre sœur à disparu. Les deux affaires sont-elles liées ?

Lisez ce nouveau numéro des Chroniques de L’Isle pour le savoir.

Chapitre 1


Le printemps avait pris de l’avance. L’air embaumait cette odeur légèrement citronnée qui annonce le renouveau des plantes et de la nature qui s’éveille. Bien sûr, ce parfum était un peu corrompu par les odeurs qui s’échappaient du tombereau du père Lapisse – il s’agissait d’un sobriquet, bien entendu – qui, tous les matins, passait pour vidanger les pots de chambres alignés sur les trottoirs de la ville dans un ordre quasi militaire.
Les rues de L’Isle s’éveillaient, et quelques vieux étaient déjà de sortie pour aller acheter le pain et l’édition du jour du Petit Provençal. Mariette dépassa le tombereau des eaux usées et reprit sa respiration qu’elle avait bloquée quelques mètres plus tôt. Debout sur le pédalier de sa bicyclette, elle accéléra un peu pour s’éloigner de la carriole tirée par un âne débonnaire qui se mit à braire à son passage, comme pour lui dire bonjour.
Au bout de la rue de la Liberté, Mariette tourna à droite, sur le quai du Midi, et longea la Sorgue où reverdissaient les jeunes platanes. Elle passa devant la Poste où elle croisa Émile Ronce, le facteur. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, blond et arborant sur sa lèvre supérieure une fine moustache. Émile Ronce n’était à L’Isle que depuis six mois, mais déjà tout le monde le trouvait sympathique, et Mariette l’aimait bien.
— Holà Mariette ! lança-t-il avec un sourire paternel. J’ai du courrier pour toi.
La jeune femme mit pied à terre. Le facteur fouilla dans sa sacoche et lui tendit une enveloppe qui venait de Paris. Elle la glissa dans la poche de sa jupe.
— Merci facteur, dit-elle en grimpant à nouveau sur sa bécane.
— La pêche a été bonne je vois, remarqua Émile Ronce en désignant le panier de poissons sanglé sur le porte-bagages de la jeune femme.
— C’est pour les sœurs ! La confrérie des pêcheurs leur offre des poissons une fois par semaine, pour améliorer l’ordinaire des malades.
Le facteur entendit à peine la fin de la phrase car Mariette, en danseuse sur sa selle, était déjà loin. Il la suivit du regard, admirant son déhanché, jusqu’à ce qu’elle disparaisse au bout du quai de la Charité.
Après avoir déposé son vélo contre le mur de la chapelle de l’hôpital, Mariette se dirigea, son panier sous le bras, vers l’entrée de la congrégation où elle toqua à la grosse porte qui marquait la frontière entre les sœurs et le reste du monde. Au bout de quelques instants, on entendit des pas dans le couloir, et le Judas s’ouvrit, laissant deviner, derrière la grille, deux yeux d’un bleu profond.
— Bonjour, sœur Anémone, c’est Mariette Monier, je vous apporte quelques poissons de la part de la confrérie.
Il y eut un cliquetis de serrure, et la porte pivota sur sœur Anémone. C’était une sœur converse, autorisée à communiquer avec l’extérieur pour les tâches quotidiennes. Au fil du temps, Mariette et elle étaient devenues des amies.
Sœur Anémone était une jeune femme qui n’avait pas atteint la trentaine. Un joli visage, doux et fin, de beaux yeux bleus, elle avait embrassé la foi après une histoire sentimentale dramatique. Son fiancé avait été happé par une machine dans l’usine où il travaillait comme lainier. Après une longue période de dépression, elle s’était tournée vers la congrégation des sœurs de Saint Joseph, où elle avait enfin trouvé la paix.
Sœur Anémone invita la visiteuse à entrer, arborant son sourire habituel.
— Vous remercierez Jules et ses amis. Ces poissons sont les bienvenus pour nos indigents. Vous prenez un café ?
C’était un véritable rituel entre les deux femmes. À chaque visite, elles se retrouvaient aux cuisines où elles dégustaient un café en papotant. Parfois, la mère supérieure passait la tête par l’entrebâillement de la porte et lançait un regard sévère à sœur Anémone qu’elle trouvait un peu trop bavarde, même pour une converse. Puis elle passait son chemin en souriant.
— J’ai un petit quelque chose pour améliorer notre café, dit Mariette d’un air facétieux.
Elle tira de sa poche un petit sachet en papier brun qu’elle ouvrit et promena sous le nez de la sœur qui rougit un peu. Il s’agissait de boules de chocolat dont sœur Anémone raffolait, le seul petit péché que la religieuse s’accordait. Rien de bien méchant, et puis ce chocolat avait un petit goût sublimé par l’interdit.
— Ah, il faut que je vous dise, Mariette, la mère supérieure m’a chargée de vous demander si votre époux pouvait venir la rencontrer, vers sept heures ce soir.
Mariette s’étonna :
— Rien de grave j’espère ?
Sœur Anémone haussa les épaules en plongeant son regard dans sa tasse de café :
— Je ne sais pas. Elle paraît très préoccupée depuis quelques jours.
— Préoccupée ?
— Inquiète, je dirais.
— Bien, je demanderai à Jules de passer, dès qu’il rentrera de la pêche. Il est parti avec Félicien Arnaud, et ils risquent d’en avoir pour un moment. Ils ont posé une araignée assez loin, vers Vaucluse. Mais pour en revenir à votre mère supérieure, est-ce qu’il s’est passé quelque chose de particulier, pour la mettre dans cet état ?
— Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas…
— Ça restera entre nous, je vous le promets.
La jeune religieuse hésita :
— Cela a commencé il y a trois jours, mercredi dernier. Elle a reçu une lettre et, après l’avoir lue, elle est devenue blême.
— Vous savez d’où provenait ce courrier ?
— C’est cela qui est étrange. Il n’y avait pas de timbre sur l’enveloppe.
— Oui, vraiment étrange, confirma Mariette en prenant une gorgée de café chaud.