Meurtre rue des roues
Résumé
Un corps est découvert coincé sous l’une des grosses roues à aubes qui entraînent les machines des usines de laine. Il pourrait s’agir d’un saboteur. Mais celui-ci a été tué avec une telle force que seul un géant ou un être surnaturel à pu commettre le crime.
Chapitre 1
L’été tirait doucement à sa fin et l’automne s’annonçait déjà dans les feuillages des vénérables platanes qui bordaient la Sorgue et ombrageaient les places de la ville. Des teintes flamboyantes émergeaient par plaques entières dans les frondaisons des arbres. Les grosses chaleurs de l’été étaient passées, les températures redevenaient plus agréables. On respirait mieux. Enfin, pas dans tous les quartiers de la ville quand même, car, tout au long de la rue des roues par exemple, flottait une odeur qui ne devait rien à la nature, une odeur franchement désagréable dégagée par les usines de laine qui, en ce début de siècle, tournaient à plein régime.
Quelques-uns se targuaient, aux comptoirs des estaminets, d’être capables de reconnaître un ouvrier de telle ou telle usine rien qu’à son odeur corporelle, car certaines industries utilisaient du soufre, d’autres des produits de blanchiment volatils… Tous ces composés chimiques finissaient par se déposer sur les vêtements, dans les cheveux et imprégnaient même la peau des hommes et des femmes qui venaient suer du matin au soir pour construire la fortune de leurs patrons.
Le bruit sourd des engrenages entraînés par les grosses roues à aubes faisait vibrer l’air du petit matin sur une fréquence grave et continue.
Félicien Arnaud, le pêcheur de Sorgue, marchait en sifflotant, les mains dans les poches. Ce matin, il avait l’impression d’être seul au monde. Il n’avait pas croisé, jusque-là, âme qui vive. L’homme portait sur son épaule gauche son épervier, ce lourd filet qui demande une grande dextérité pour être lancé en équilibre depuis la turte* du bateau. Ce n’était pas son chemin habituel ni le plus court, d’ailleurs, pour rejoindre sa barque amarrée au bassin de Bouïgas, mais il avait un rendez-vous. Il devait retrouver Jules et les autres pêcheurs de sa confrérie, au café de l’Industrie pour débattre d’un point très important. L’un des leurs s’était gravement blessé, durant l’été et ne pouvait plus travailler. Les pêcheurs donnaient déjà une partie de leurs prises à leur confrère, afin qu’il puisse nourrir sa famille, mais cela ne suffisait plus. Il fallait envisager de taper dans la caisse commune, justement réservée aux situations les plus graves.
Arrivé approximativement au milieu de la rue, un peu après la chapellerie, Félicien Arnaud remarqua un fait étrange. Une roue, celle de l’usine de monsieur Dubois, était animée de drôles de soubresauts. Tandis que toutes les autres tournaient librement, celle-ci, l’une des plus grosses, semblait bloquée. Une profonde ride verticale naquit au milieu du front du pêcheur. Cela n’était pas normal.
Félicien Arnaud s’approcha du parapet et se pencha pour tenter d’apercevoir ce qui immobilisait la roue. Il ouvrit de grands yeux en découvrant deux jambes immergées sous quelques centimètres d’eau. Le reste du corps était passé sous la roue, jusqu’à la taille empêchant la libre rotation des pales de bois.