Les Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue N° 8

Meurtre à la croix

Résumé


Et si nous plongions, avec ce nouveau numéro des Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue, dans une sombre affaire de sorcellerie ? Car oui, en cette fin de XIXe siècle, la magie noire fait encore partie du quotidien, certes en filigrane, mais bien présente au sein de la société.

En Provence, on appelle ceux qui possèdent l’art maléfique : les enmasqueurs et les enmasqueuses. Ils et elles sont craints, même si, par tradition, les mauvais sors ne sont jetés que par les femmes, les hommes se chargeant, quant à eux, de désenmasquer les victimes.

Dans ce nouvel épisode des Chroniques de L’Isle-sur-Sorgue, Jules Monier et ses amis doivent enquêter sur une étrange malédiction qui frappe la ville. Découvrez ci-dessous le prologue de cette histoire « envoûtante ».

Prologue


Cette histoire aurait pu commencer par : François Bartavelle était un brave homme. Un homme de la terre, un de ces paysans ardéchois durs à l’ouvrage, économe et avisé dans les affaires… Oui, l’histoire aurait pu débuter ainsi, mais il n’en est rien.
En réalité, François Bartavelle était tout le contraire ; c’était un sale type, fainéant, qui fréquentait assidûment les tripots où il dépensait l’argent gagné par sa femme. Un argent gagné grâce à un don assez particulier ou plutôt grâce à une particularité physique : une énorme paire de mamelles qui donnait à profusion un lait riche et nourrissant pour autant que la paysanne soit mère, ce qui arrivait pratiquement tous les dix mois depuis de nombreuses années, comme pouvait en témoigner la ribambelle de mioches qui couraient dans tous les sens en se chamaillant. Dix filles et trois garçons, pas de chance ! La petite dernière s’appelait Noémie. Elle avait six mois à peine, mais en paraissait seulement deux ou trois. Il faut dire que si les attributs mammaires de sa génitrice avaient de quoi nourrir une armée de grognards, ce n’était pas ses propres enfants qui en profitaient. Madame Bartavelle était en effet nourrice professionnelle et une nourrice particulièrement appréciée des bourgeois alentour dont les femmes, souvent maigrichonnes, ne produisaient que peu ou pas de lait ou n’étaient tout simplement pas disposées à laisser ces petits goulus abîmer leurs jolis tétons avec leurs bouches avides.
Alors, madame Bartavelle ne manquait pas d’emploi bien rémunéré et monsieur Bartavelle vivait comme un coq en pâte, grâce à ces revenus qui lui épargnaient d’avoir à manier la charrue dans ses champs laissés à l’abandon depuis longtemps.
Mais la fortune est une maîtresse capricieuse. Et un soir, en rentrant d’une dure journée de beuverie, Bartavelle trouva sa femme en pleurs. Il tenta maladroitement de la consoler en l’allongeant sur le lit et en faisant passer sa robe par-dessus sa tête, mais aujourd’hui ce n’était pas la bonne méthode. La femme le repoussa violemment.
Surpris par cette attitude inhabituelle, il finit par s’enquérir de ce qui la tracassait. Elle dégrafa son corsage et en extirpa deux seins flasques qu’elle posa sur son ventre :
— Plus de lait ! La source est tarie, hoqueta-t-elle.
François Bartavelle, dont l’esprit était toujours aviné, mit un long moment à comprendre les implications de cette sécheresse mammaire. Il ouvrit soudain de grands yeux horrifiés. Cela voulait tout simplement dire : plus d’argent facile et retour aux champs, dès le lendemain. Non, comment était-ce possible ?
Soudain, il se souvint de la vieille Noémie, qui vivait à moins de trois-cents mètres de là. On disait que c’était une sorcière. Oui, à tous les coups c’était ça. L’autre jour, il l’avait croisé et lui avait lancé une méchanceté. L’autre avait marmonné quelque chose entre ses dents et, de ses doigts crochus, elle avait tracé un étrange signe dans l’air. Un envoûtement, voilà l’explication de la perte de lait de sa femme. La vieille l’avait ensorcelé et maintenant son monde s’écroulait.
Ah, mais ça n’allait pas se passer ainsi. Il se souvint des histoires que lui racontait sa grand-mère, lorsqu’il était enfant. Des histoires dans lesquelles on jetait au bûcher celles et ceux qui avaient pactisé avec le diable.
Fou de colère, il enfila sa veste et ressortit de la maison, laissant sa femme sangloter sur le lit.
Oui, les sorcières, il faut les brûler ! se répéta-t-il en boucle jusque devant la chaumière de la pauvre vieille. IL FAUT LES BRÛLER !